La victoire du parti Ennahda a été confirmée jeudi soir par le chef de la commission électorale qui a précisé que les islamistes avaient obtenu 90 des 217 sièges à l'Assemblée constituante tunisienne.
Ce succès d'Ennahda devrait lui permettre de former un gouvernement dirigé par les islamistes, le premier depuis les soulèvements du printemps arabe qui avaient conduit à la chute du président Zine ben Ali.
Cette annonce a été accueillie par des violences provoquées par des partisans du candidat de la Pétition populaire, mécontents que leur champion ait été éliminé du scrutin.
Kamel Jandoubi a déclaré lors d'une conférence de presse que le Congrès pour la République, parti laïque classé à gauche, arrivait en deuxième place avec 30 sièges à l'issue des élections constituantes de dimanche.
Ennahda s'est employé depuis plusieurs jours à rassurer les laïcs et les investisseurs étrangers inquiets de voir émerger un gouvernement islamiste dans l'un des pays les plus libéraux du monde arabe.
Les droits des femmes et de tous ceux qui n'ont pas d'appartenance religieuse affirmée seront protégés en Tunisie, a promis le dirigeant islamiste Rachid Ghannouchi après la confirmation de la victoire de son parti.
"Nous allons poursuivre cette révolution pour atteindre l'objectif d'une Tunisie libre, indépendante, en développement et prospère dans laquelle les droits de Dieu et du prophète, des femmes, des hommes, des croyants et des non croyants seront garantis parce que la Tunisie appartient à tous", a-t-il dit.
Cela n'a pas eu l'heur de rassurer les adversaires des islamistes qui ont incendié les bureaux du maire dans la ville de Sidi Bouzid où des bulletins n'ont pas été comptabilisés en raison d'irrégularités, ont indiqué des témoins.
La police a tiré des grenades de gaz lacrymogène pour disperser des centaines de manifestants dans cette agglomération à l'origine de la révolte provoquée par le suicide d'un vendeur ambulant, Mohamed Bouazizi, il y a 10 mois.
"Ils ont incendié une grande partie des locaux de la mairie et on n'a pas vu la police", a commenté un habitant de la ville joint au téléphone par Reuters. Les manifestants auraient également mis le feu au bureau de campagne d'Ennahda et ont brûlé des pneus dans les rues.
La commission électorale avait annoncé un peu plus tôt qu'elle avait annulé les sièges remportés par la Pétition populaire de l'homme d'affaires Hachmi Hamdi dans six districts électoraux en raison d'infractions aux règles de financement de la campagne électorale.
Ces violences n'impliqueraient que les partisans de Hamdi.
"Nous rendons hommage à Sidi Bouzid et à ses fils qui ont lancé le mouvement et nous espérons que Dieu acceptera Mohamed Bouazizi comme un martyr", a ajouté Ghannouchi qui a passé 22 années en exil en Grande-Bretagne.
COALITION
"Ces élections ont été comme notre peuple et notre jeunesse les ont voulues, démocratiques, transparentes, propres et pluralistes, en rupture avec le passé", a commenté le président adjoint de la commission, Souad Triki.
"En cette heure historique, nous ne pouvons que saluer la mémoire de nos martyrs innocents et la persévérance de notre jeunesse depuis le 14 janvier", a-t-il ajouté.
Ennahda, qui était interdit sous le règne de Zine ben Ali, n'a pas remporté la majorité absolue au sein de la nouvelle assemblée mais elle a réuni suffisamment d'élus pour espérer former un gouvernement de coalition avec deux des formations laïques de centre-gauche arrivées derrière elle.
Les résultats confirment les prévisions faites par le parti lui-même. Le système électoral tunisien rendait quasiment impossible le scénario d'un parti obtenant la majorité des élus.
L'actuel Premier ministre, Beji Caïd Essebsi, qui devrait être remplacé par un représentant d'Ennahda, a affirmé jeudi qu'il n'a aucune raison de douter des engagements des islamistes en faveur d'un Etat civil et démocratique.
"Il ne m'appartient pas de juger des intentions, c'est à Allah de le faire. Je peux simplement juger ce qui a été rendu public et à ce stade, c'est positif. Au final, nul ne peut arriver et changer totalement les choses", dit-il dans les colonnes du quotidien égyptien Al Ahram.
"Je pense, ajoute-t-il, qu'(Ennahda) gouvernera avec intelligence et fera face à la réalité. Ce n'est pas nécessairement une force obscure. La Tunisie continuera d'aller de l'avant, et non pas à rebours de son histoire."
Les élections tunisiennes, les premières organisées depuis le début du "printemps arabe", et leurs répercussions sont suivies de près à l'étranger, où l'on cherche des indications sur les bouleversements en cours dans cette partie du monde.
Ennahda se situe sur la frange modérée et libérale du spectre des partis islamistes au Proche-Orient. Ghannouchi a lui-même présenté son approche de la politique en la rapprochant de celle du Premier ministre turc Tayyip Erdogan.